Je vais m’efforcer de présenter le plus simplement possible la pensée de Spinoza à des étudiants qui ne sont pas enclins à lire, à aimer et à comprendre des penseurs aussi difficiles que lui. Cette présentation ne s’adresse donc pas à des professeurs de philosophie. Elle se veut utile pour comprendre le Traité théologico-politique (TTP) qui est au programme des CPGE scientifiques pour 2024-2025. Je me suis inspiré de Gilles Deleuze et de son « grand » petit livre, Spinoza, philosophie pratique (P.U.F., 1970, réédité aux éditions de Minuit en 1981).
1. Pourquoi étudier Spinoza (hormis pour le concours) ?
a)- Faire l’expérience intellectuelle de ce qu’est une pensée complète, cohérente, unifiée, puissante, d’une grande perspicacité (ce qui n’exclut pas les difficultés comme celles très bien vues par Ferdinand Alquié).
b)- Non pas supprimer toute passion (c’est impossible, au vu de la nature de l’homme, rempli de désir et d’ignorance), mais à la faveur de ces passions, des rencontres de hasard que nous faisons, surtout au début de la vie, faire que les passions n’occupent plus que la plus petite partie de nous-même, que notre pouvoir d’être affecté soit rempli par un maximum d’affections actives.
c)- L’homme est à la fois passif et actif. Se savoir passif permet de prendre la mesure exacte de notre situation véritable, donc de ne pas se raconter d’histoire. Nous souffrons de frustrations, vivons des deuils, essuyons des échecs, vieillissons et mourons. L’orgueil augmente l’impuissance, puisqu’il fait croire que nous sommes puissants alors que nous avons seulement besoin de le devenir. Se croire actif alors qu’on ne l’est pas, voilà qui est, non seulement dangereux, mais aussi douloureux puisqu’on ne cesse de déchanter, de se sentir hors d’état de surmonter certaines épreuves que nous affrontons nécessairement comme tout mode* existant fini (*voir plus bas le lexique spinoziste).
d)- Comprendre de quoi nous sommes constitués (un pouvoir d’être affecté, des variations de puissance, des affections passives et d’autres actives) et dans quoi nous sommes embarqués (la nature infinie et éternelle, la nature de l’homme, les rencontres fortuites, la nécessité, la causalité). Cette compréhension permet de devenir fort, de jouir de la béatitude, de la vie qui est fondamentalement bonne, de ses forces, d’éviter la tristesse, les passions mauvaises, la crainte, les plaintes, la haine, la colère, le désespoir.
2. La vie et l’œuvre de Spinoza : une entreprise de démystification radicale
Spinoza (1632-1677) vient au monde dans une époque de révolution intellectuelle. Après Copernic (1473-1543), Bacon (1561-1626), Kepler (1571-1630), Descartes (1596-1650) et bien d’autres savants et philosophes, la découverte des pouvoirs de la raison permet d’envisager d’augmenter sensiblement notre connaissance de la nature. Stimulé par ce climat intellectuel favorable à l’émancipation de la pensée vis à vis de la théologie, Spinoza en vient à penser de façon de plus en plus audacieuse. Il va rompre avec la communauté juive d’Amsterdam, sera haï par de nombreux calvinistes, refusera d’être professeur pour garder son indépendance : « Toute personnalité en ayant fait la demande serait autorisée à donner un enseignement public, à ses frais, et au péril de sa réputation… » (TP, ch. VIII, § 49). Il mourra en demandant qu’on publie l’Éthique sans nom d’auteur.
Ce que fait Spinoza de sa vie, ce n’est pas employer des moyens pour une autre vie « rêvée », mais déployer les effets mêmes de la philosophie sur son existence. Il n’y a pas d’autre vie pour le philosophe que celle qu’il vit. Il s’efforce simplement d’être le plus libre possible.
On l’a accusé de matérialisme, d’immoralisme et d’athéisme : il vit la solitude du philosophe qui ne peut s’intégrer dans aucun milieu, qui n’est bon pour aucun d’eux. Car en toute société, il s’agit d’abord d’obéir, parfois de vivre sous la menace, voire de craindre la mort et de la subir. Pour le philosophe, il s’agit donc avant tout d’être prudent : Caute (« avec prudence », devise de Spinoza) pour garder la liberté et la tranquillité indispensables à la réflexion.
3. La différence entre éthique et morale
C’est une philosophie de l’immanence (Deleuze parle d’un plan d’immanence, horizontal, en opposition à la transcendance, verticale), de l’affirmation pure (science de tous les effets qui découlent de Dieu ou la nature, fondée sur l’idée d’expression, sans rupture ni dualité). Tout est sur le même plan : Dieu ou la nature*, autrement dit la substance*).
La morale consiste à distribuer des ordres, à interdire et à prescrire à partir de dogmes, eux-mêmes établis à partir d’une illusion de la conscience : celle du Bien et du Mal. Faute, mérite, bien et mal, culpabilité sont des idées à usage social : « La haine et le remords, les deux ennemis fondamentaux du genre humain. » (Spinoza, Court traité, premier dialogue)
Il y a une philosophie de la vie chez Spinoza, qui consiste à dénoncer ce qui nous sépare de la vie, les valeurs transcendantes, les illusions de la conscience, tout ce qui l’empoisonne (Bien et Mal, faute et mérite, péché et rachat, repentir, remords, haine et culpabilité, et même l’espoir et la sécurité…).
Chaque corps a des parties, mais qui ne lui appartiennent que sous un certain rapport (lequel ne dépend pas de sa volonté, mais du hasard des rencontres avec d’autres corps). Un corps ne se possède pas. Seuls les rapports sont dits bons ou mauvais selon qu’ils aident à la composition du corps ou à sa décomposition.
Les phénomènes que nous groupons sous la catégorie du mal (maladies, mort, méchanceté) sont en fait du type « mauvaise rencontre », « empoisonnement », « intoxication », « décomposition de rapport ». Le bon et le mauvais existent, pas le Bien et le Mal. Bon et mauvais renvoient aux variations de la puissance d’agir : est mauvais (tristesse) ce qui la diminue, est bon (joie) ce qui l’augmente. Bon et mauvais expriment les rencontres entre les modes existants.
Il n’y a donc pas de mal (en soi), mais du mauvais (pour moi, ou toi). Aucune action considérée en soi seule n’est bonne ou mauvaise. Le mauvais n’existe que dans l’idée inadéquate (erronée, sans lien avec le réel) et les affections de tristesse qui en découlent (haine, culpabilité, colère, remords…). Bien et Mal sont seulement des êtres de raison, ou d’imagination, qui dépendent des signes sociaux, du système répressif des récompenses et des châtiments : « C’est aux esclaves, non aux hommes libres, qu’on donne des récompenses pour leur bonne conduite. » (Spinoza, Traité politique)
Il y a seulement du bon et du mauvais, en deux sens :
1)- sens objectif, mais relatif et partiel : ce qui convient (ou pas) avec notre nature ;
2)- sens subjectif et modal (plus bas, j’explique les concepts principaux dont celui de mode), qualifiant deux types, deux modes d’existence de l’homme :
a)- sera dit bon (ou libre, raisonnable, fort) celui qui s’efforce d’organiser les rencontres, de s’unir à ce qui convient avec sa nature, de composer des rapports qui lui sont favorables, d’augmenter sa puissance.
b)- sera dit mauvais (ou esclave, insensé, faible) celui qui vivra au hasard des rencontres, en subira les effets, se plaindra de tout et accusera tout sauf sa propre impuissance. La culpabilité et le ressentiment seront les effets de cette impuissance et l’augmenteront encore.
Spinoza ne demande pas de se conformer à une nature préalablement définie de façon dogmatique et transcendante, mais à comprendre la nature même des choses pour augmenter sa puissance d’agir.
4. Dieu ou la nature (ou la substance éternelle et infinie)
Sa grande thèse théorique (dite expressive : tout est expression, en dernière analyse, de Dieu = Nature = Substance, expliquée plus bas) : une seule substance ayant une infinité d’attributs (expliqués plus bas), Deus sive Natura, les créatures étant toutes seulement des modes, des modifications de cette substance. Panthéisme et athéisme se combinent dans cette thèse qui nie un Dieu créateur, moral, transcendant (hors du monde), anthropomorphe (doté d’une volonté, d’affects…)
5. Le but que se donne Spinoza et qu’il propose aux hommes
Ce qui intéresse Spinoza n’est pas d’accéder à un savoir inaccessible, mais de favoriser l’augmentation de puissance pour l’homme : son principal objectif est la vérité et l’action. Il cherche à agir sur son existence même d’homme. Il ne s’agit pas de connaître les affects, mais de faire en sorte que l’esprit en vienne à se donner suffisamment de force pour faire passer les affects de la passion à l’action : « Chacun a le pouvoir de se comprendre clairement et distinctement, ainsi que ses affects, sinon absolument, du moins en partie, et de faire en conséquence qu’il en pâtisse moins. » Ethique, V, 4, scolie.
6. La dénonciation de la conscience et de la passivité
L’illusion des valeurs ne fait qu’un avec l’illusion de la conscience : il suffit de ne pas comprendre pour moraliser. La loi morale n’apporte aucune connaissance, au pire elle l’empêche (le tyran), au mieux elle prépare la connaissance en la rendant possible (Jésus). L’hypothèse d’un Dieu moral, créateur, transcendant s’accorde avec ces deux illusions : l’homme espère de Dieu la récompense de sa bonne conduite et craint de lui le châtiment de sa mauvaise conduite.
L’homme aux passions tristes offre deux versions : le tyran et l’esclave. Celui qui exploite les passions tristes pour asseoir son pouvoir et celui qui s’attriste sur la condition humaine : « Le grand secret du régime monarchique et son intérêt profond consistent à tromper les hommes, en travestissant du nom de religion la crainte dont on veut les tenir en bride ; de sorte qu’ils combattent pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut. » Spinoza, TTP, préface.
Le pouvoir d’être affecté se présente comme puissance d’agir et puissance de pâtir : l’Éthique est une éthique de la joie, la passion triste toujours une morale de l’impuissance.
7. Petit lexique des concepts principaux du spinozisme
1)- SUBSTANCE : cause de soi, infinie et éternelle, la substance est terminus (un terme), ce qui enveloppe tout, ce qui s’exprime à travers attributs (étendue et pensée) et modes (modifications de la substance) et affections. Infinie, éternelle, sans finalité, entièrement nécessaire, explicable seulement par le déterminisme (causalité : tout ce qui arrive a une cause, ou une série de causes), il n’y a pas de hasard autrement que sous la forme de rencontres de séries causales indépendantes et donc inconnaissables pour des êtres finis comme l’homme.
Malevitch (Le miroir suprématiste, 1923) : « Ce que nous appelons réalité est l’infini qui n’a ni poids, ni mesure, ni temps, ni espace, ni infini, ni relatif, et n’est jamais tracé pour devenir une forme. »
2)- ATTRIBUTS : chaque attribut est conçu par soi et en soi. Ils sont réellement distincts : « Ce que l’entendement perçoit de la substance comme constituant son essence. » (Ethique, I, déf. 4) Nous n’en connaissons que deux (étendue et pensée, pour autant que nous sommes corps et esprit) : les deux substances de Descartes (avec Dieu au-dessus). Il y en a une infinité du fait de la puissance absolument infinie d’exister de Dieu qui ne se laisse épuiser ni par la pensée ni par l’étendue.
3)- DEUS SIVE NATURE : Dieu ou la nature (ou encore la substance)
A)- Une idée de Dieu fort peu « religieuse »
Sa philosophie part d’une idée de substance unique : déplacement par rapport à Descartes, qui plaçait Dieu au-dessus de deux substances (qui deviennent des attributs chez Spinoza).
Sa grande thèse théorique, c’est l’expression : tout ce qui existe est l’expression de la substance, comme on dit exprimer le jus d’un citron. Les créatures sont des modes, des modifications de cette substance infinie et éternelle. Panthéisme et athéisme se combinent dans cette thèse qui nie un Dieu moral et transcendant.
Cette idée de Dieu détruit les représentations religieuses et leurs effets dévastateurs sur l’existence humaine. C’est la critique la plus radicale de nos illusions, celle d’un Dieu anthropomorphe, de la finalité, du possible et du contingent (hasard), du bien et du mal, de la liberté humaine.
Dieu est nature naturante et nature naturée à la fois : il est non transitif : il n’est pas cause transitive d’effets (comme on dit que le bras armé d’un couteau coupe la viande). Entièrement immanent à la nature, le Dieu de Spinoza est la Nature et tous les effets qui sont auto-produits par Lui (= Elle).
B)- De quoi Dieu est-il le nom ?
Spinoza opère un déplacement à l’intérieur même de l’idée de Dieu, dont le nom est dominant encore au 17e siècle. Les guerres de religion, depuis la Réforme, se poursuivent. Mais y a-t-il deux partis, l’un religieux et l’autre athée ? C’est plus compliqué : des croyants inventent la démocratie moderne avec la liberté de conscience, en Angleterre vers 1660 et aux USA en 1776.
Où passe la frontière ? Pas entre athée et croyant, mais entre esprit libre et esprit rempli de préjugés. L’athée qui croit au Bien et au Mal, à la finalité, à la liberté, est semblable au croyant qui croit en un dieu qui aime, hait, punit et récompense. Le « croyant qui pense » comme Spinoza que Dieu est substance infinie ou nature est libre comme tout homme qui se méfie réellement de tous les préjugés.
De l’athée (tolérant ou intolérant) au croyant (fanatique ou modéré), la distance est à la fois nulle et immense. Il n’y a aucune distance entre l’athée militant (communiste) et le religieux martyr (Djihadiste), mais beaucoup entre Spinoza et le croyant dévot.
Le dieu de Spinoza est comme celui d’Épicure : par sa nature même, qu’il existe ou pas devient indifférent, puisqu’il est bienheureux et incorruptible, ce qui désamorce la querelle entre croyants et athées, comme entre les diverses religions (judaïsme, christianisme, islam, brahmanisme, catholicisme et protestantisme, sunnisme et chiisme).
Son panthéisme, en identifiant infinité de Dieu et infinité de la nature, est la plus implacable critique de la superstition qui est le cœur de toute attitude religieuse : les sentiments de crainte, d’espoir, de haine, les idées de finalité et de liberté, de prééminence de l’âme sur le corps, la responsabilité et la culpabilité sont autant de formes de superstition.
4. MODES : l’individu n’est pas substance, parce que la substance concerne un terme (infini, éternel, absolu) et non un rapport. L’individu est un mode fini : par ses rapports, par sa puissance. L’homme est un mode fini (affections de deux attributs : pensée et étendue). Un mode se définit par un certain pouvoir d’être affecté. La puissance d’agir varie sous des causes extérieures pour un même pouvoir d’être affecté. Tous les sentiments qui découlent de rencontres extérieures sont des passions (tristes ou joyeuses) puisque nous n’en sommes pas la cause adéquate. Cette distinction prépare à la distinction passions/actions. Les joies actives seules pourront être rapportées à la béatitude.
5. NÉCESSITÉ ET CAUSALITÉ – POSSIBLE ET CONTINGENT : la nécessité est la seule modalité de tout ce qui est : tout ce qui est, est nécessaire :
– par soi (Dieu, ou nature, ou substance)
– par autre chose (la ou les causes, qui engendre des modifications et rend nécessairement passif chaque être fini, comme une chose, un individu).
Nous pouvons connaître entièrement la nécessité, par une intuition que Spinoza appelle connaissance du troisième genre, car c’est une essence qui participe de la nature, de la substance, de Dieu.
La nécessité est une idée tandis que la causalité est phénoménale, empirique. C’est pourquoi nous ne pouvons en connaître qu’une infime partie : les causes prochaines qui nous touchent : ce champignon vénéneux qui me tuerait si je le savais pas).
Le possible et le contingent (ou hasard) sont des illusions fondées dans l’organisation du mode existant fini : ils n’expriment que notre ignorance. Ainsi, notre connaissance est nécessairement mutilée. Dieu seul « connaît » la série infinie des causes. Les ignorer conduit à croire en la liberté : nous ne connaissons pas ce qui nous fait agir.
Nécessité et causalité sont constitutives de la raison qui est ce par quoi l’esprit produit des idées vraies et du savoir.
6. PUISSANCE ET ESSENCE : tout dans la Nature est lutte de puissance (Nietzsche s’est senti proche de Spinoza avec son concept de « volonté de puissance ») : « Il n’est donné dans la Nature aucune chose singulière, qu’il n’en soit donné une autre plus puissante et plus forte ; mais, étant donné une chose quelconque, une autre plus puissante est donnée, par laquelle la première peut être détruite. » (Éthique, IV, axiome)
Chaque conatus (appétit) est une tendance à maintenir et à ouvrir au maximum l’aptitude à être affecté : « Par puissance, j’entends l’essence même ou nature de l’homme, en tant qu’il a le pouvoir de faire certaines choses qui peuvent se comprendre par les seules lois de sa nature. » (Ethique, IV, Définition 8)
La puissance de l’homme, par son essence actuelle de mode fini, est une partie de la puissance infinie de Dieu. La joie augmente notre puissance d’agir, la tristesse la diminue (en sont aussi le signe). La puissance d’agir est soumise à des variations.
Dieu n’a pas de volonté, ni de pouvoir (le possible n’existe pas), mais il a une puissance identique à son essence d’Etre absolument infini. Toute puissance est acte, active et en acte. Toute puissance est inséparable d’un pouvoir d’être affecté. Les essences sont des parties de puissance : une essence est « ce sans quoi la chose ne peut ni être ni être conçue, et qui inversement ne peut sans la chose ni être ni être conçu. » (Éthique, II, 10, scolie)
7. EXISTENCE, AFFECTIONS ET AFFECTS : exister, c’est avoir des causes extérieures, une infinité de parties extensives, c’est durer, persévérer. Ce qui existe est ce qui vit dans la durée : exister se dit du mode existant fini. Le mode passe à l’existence sous l’action d’une cause, dure et cesse d’exister sous l’action d’une autre cause. La durée est continuité indéfinie d’existence. La fin d’une durée, la mort, vient de la rencontre avec un autre mode ou chose extérieure qui en décompose le rapport. La durée s’oppose à l’éternité.
Trois sens pour le mot affection (affectio). Seul le troisième s’appelle affect (affectus). Elles sont :
1)- ce qui arrive à la substance ou à ses attributs (les modes eux-mêmes). Les affections sont nécessairement actives puisque découlant de Dieu.
2)- ce qui arrive aux modes (modifications du mode, les effets des autres modes sur lui) : ce sont des images, des traces corporelles (hormones…)
3)- ce qui arrive aux corps : elles forment un certain état variable du corps et de l’esprit, dotés de plus ou moins de perfection que dans l’état précédent. Ces variations continues ou durées de perfection s’appellent affects:
« Par affect, j’entends les affections du corps par lesquelles la puissance d’agir de ce corps est augmentée, favorisée ou empêchée. » (Ethique, III, définition 3)
Les affections (2) et (3) et leurs affects correspondants que sont la joie et tristesse) sont passives (augmentation ou diminution de la puissance d’agir) ou actives (béatitude, liberté, amour intellectuel de Dieu).
8. PARALLÉLISME : se dit du rapport de l’esprit et du corps. Spinoza n’emploie pas le mot âme (animus) et lui préfère mens (esprit).
Toute chose est corps et esprit à la fois, chose et idée. Toutes les choses ont leur âme : le caillou a son âme, la plante a son âme, l’homme a son âme. Tous les individus sont animata.
Le corps est un mode de l’étendue, l’esprit un mode de la pensée. L’idée que nous sommes est à la pensée ce que le corps est à l’étendue. Il y a automatisme de la pensée comme il y a mécanisme du corps.
La vraie nature de l’esprit est d’être une idée, idée de quelque chose ou encore idée d’une idée. Le vrai rapport de l’esprit et du corps est que le corps est l’objet de cette idée. L’idée que nous sommes, nous ne l’avons pas immédiatement : nous avons d’abord l’idée de ce qui arrive à notre corps, l’idée des affections de notre corps.
Est exclue toute action réelle entre le corps et l’esprit, puisqu’ils dépendent de deux attributs différents un caillou n’agit pas sur le nombre Pi et réciproquement). Par Dieu, il y a néanmoins correspondance entre les deux. Ne rien affirmer d’une action réciproque, cela évite d’énoncer des idées vagues et confuses et obscures (comme la « glande pinéale » de Descartes, censée relier le corps et l’âme — idée critiquée par Spinoza). Comme aucun attribut n’est supérieur aux autres, on ne peut dire qu’il y a action de l’esprit sur le corps (et passion quand le corps agit sur l’esprit).
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